MICHEL POIVERT
HISTOIRE PARALLÈLE
Essai, Exposition à La Sorbonne, Paris 2023.
L’histoire de la photographie a généré en presque deux siècles d’existence du médium son musée imaginaire. Les grands noms, mais aussi et surtout les images les plus diffusées constituent ainsi une iconothèque dans l’esprit de chacun d’entre-nous. La diffusion massive de ces « icônes » imprime dans nos mémoires des scènes et des motifs canoniques qu’il suffit parfois d’évoquer pour que nous soyons capables non seulement de les reconnaître lorsqu’elle se présente à nous, mais aussi de les imaginer lorsqu’elles sont évoquées lors d’une discussion.
Pour les amateurs et les connaisseurs, ce musée imaginaire est riche de dizaines d’images qui se cristallisent en une culture visuelle à l’instar des amoureux de la peinture ou du cinéma. Ce « cloud » naturel méritait bien une visite d’un nouveau type, c’est là l’idée singulière proposée par le duo de photographes contemporains Brodbeck et de Barbuat : interroger l’IA pour générer à partir de requêtes expertes la réalité d’une mémoire partagée. La part de jeu d’une telle expérience, comme le serait une partie d’échec avec l’histoire, consiste alors à mettre en concurrence l’exigence du langage à travers les « prompts » de plus en plus affinées au fur et à mesure des réponses de l’IA; et ainsi se rapprocher des images célèbres à travers ce que nous sommes capable d’en décrire.
Les propositions de l’IA, aussi vraies qu’erronées sont appelées « hallucinations », c’est là que nous emmène l’expérience des artistes : au royaume d’une culture hantée par son histoire, une « histoire parallèle ». On se plaira à reconnaître ici une photographie de Robert Capa, là une épreuve d’Edward Weston ou bien encore un cliché de Dorothea Lange ou d’Henri Cartier de Bresson, une autre de Robert Doisneau, etc. Mais le jeu qui s’est instauré consiste à juger des différences : toute anomalie devient le signe de distinction entre l’œuvre et son spectre.
Faire œuvre d’une telle enquête nécessite d’en projeter le résultat dans une proposition analogique : impression, encadrement, accrochage, édition. On l’oublie souvent, la culture numérique qu’il s’agisse de capteur ou ici d’IA trouve son pendant analogique au moment de la production (choix des papiers, travail de préparation des fichiers à la manière des tireurs, montage…). C’est ainsi que se comprend Histoire Parallèle, comme une exploration de l’inconscient d’une histoire de la photographie, ce qui nous revient lorsque l’on tente de parler les images, de les décrire, de les rendre présentes alors qu’elles sont absentes. Une Histoire Paralèlle est une collection d’analogons, soit du pur photographique.
Ce corpus imaginé autant qu’imaginaire s’inscrit dans le travail au long cours des deux artistes, qu’il s’agisse des 1000 vies d’Isis réalisé à partir d’un personnage forgé « numériquement » ou bien encore de l’« Anthropologie imaginaire » où résonnent les âmes et les spectres amérindiens, là peu à peu se consacre l’idée que la photographie est un art hanté.
Michel Poivert