LEA BISMUTH

FRAGMENTS D’ETERNITE
Essai, Exposition à la Galerie Papillon, Paris 2019.

Les artistes-photographes-filmeurs me montrent des images transitoires, ralenties, ou certaines encore floues ; des détails, des fragments, des passages du temps. Ils me disent qu’ils partent souvent à la recherche des esprits, qu’ils sont allés à leur rencontre en Amazonie. Ils me parlent de croyances concernant l’âme des êtres et l’esprit des choses. Je les écoute, je les crois sur parole, car je sais depuis toujours (ou simplement depuis longtemps) que sans âme et sans esprit, rien ne persiste, rien ne souffle, rien ne respire. Puis, je regarde un film, tourné au Japon, In Search of Eternity II. A la recherche de l’éternité, donc, comme d’autres sont allés à la recherche du miracle : un défi pour exister encore, peut-être. Le Japon comme une terre où une telle éternité existerait. L’éternité y serait du temps, du temps étiré, du temps en latence, du temps sur des visages ou à travers des corps, du temps sur un peuple et sur quelques rues. L’éternité apparaît, je peux la voir dans des feuillages, dans des bambous verts, défilant en un travelling latéral de droite à gauche, avant de s’enfuir dans la boîte noire. La voix de l’homme parle en allemand, douce, mélodieuse, une voix de conte ; la voix passe elle aussi avant de disparaître de l’écoute. Me vient en mémoire une autre voix, dans un film de Chris Marker, Sans-Soleil, tourné lui aussi au Japon — je repense à Marker qui était parti pour ce film à la recherche d’une image du bonheur ; il a fini par la trouver sur une route islandaise croisant le chemin de trois enfants. Est-ce que chercher l’éternité reviendrait à chercher une nouvelle fois une telle image du bonheur ? Je ne sais. Je sais seulement que la voix murmure ici un monde qui n’aurait pas encore commencé. Et je me dis que l’éternité n’est rien d’autre qu’un commencement éternel : la vision aérienne capture une humanité à l’arrêt qui regarde ce qui se passe à l’intérieur d’elle-même, l’écriture d’une jeunesse s’esquisse en une forme de sérieux, une foule se fraie un passage. Peu d’enfants et peu de vieillards, mais des anges invisibles qui épaulent ceux qui sont là. La folie criarde des annonces publicitaires de Shinjuku n’est plus la rivale de rien, elle a déjà perdu la partie face à la douceur d’un satin turquoise noué dans une chevelure. La solitude des parcs publics, des immeubles rectilignes, des fils électriques devient elle aussi une sorte de caresse. Et elle, la jeune-femme à la robe bleue, aux paupières baissées, au collier de perles blanches, pourquoi se détache-t-elle du tableau ? La réponse à cette question se trouve sans doute dans une tendresse, qui n’est qu’une attention au détail. La voix allemande reprend : Mein Vater. Meine Mutter. Meine Frau. Mein Kind. Le père, la mère, la femme, l’enfant. Le noyau primitif, le foyer qui pourrait pourtant si vite se briser. Mais, lorsque le visage pivote et que la caméra filme le ciel au crépuscule, nous savons, nous voyons, une forme d’espérance en un avenir serein. J’ouvre alors un livre de Peter Handke, le monologue final de Nova dans Par les villages : « Ceux qui aiment, seuls transmettent : aimer une chose suffit pour tout ».

Léa Bismuth.