GABRIEL BAURET
L’EXPÉRIENCE DES LIMITES
Essai, Prix Niépce, Paris 2020.
L’art contemporain est émaillé d’œuvres qui se construisent à quatre mains et associent parfois différentes techniques. Lucie et Simon, elle française, lui allemand, travaillent ensemble mais sont aussi ensemble dans la vie. Tous deux diplômés de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, ils seront plus tard pensionnaires de la Villa Médicis à Rome. Leurs qualités et leurs intentions artistiques s’entremêlent si bien que l’on ne saurait deviner quel est le rôle de chacun. Très vite, ils ont conjugué leur désir d’expérimenter d’autres façons de pratiquer la photographie, mais sans jamais vraiment s’en éloigner. Ils ont exploité un angle original de prises de vue pour représenter des scènes de la vie quotidienne ; à la faveur d’éclairages nocturnes, ils ont donné d’inhabituelles couleurs aux paysages de la périphérie des villes. Autant de manières de réinventer le réel et l’espace. Inspirés par une œuvre-clef de l’histoire de la photographie, ils ont transposé sur des sites emblématiques de plusieurs villes un procédé permettant de faire disparaître tout ce qui est mouvement pour ne fixer qu’une seule scène à un endroit précis du paysage. Le temps est suspendu, les espaces vides et silencieux – quelque chose qui ressemble aux aspects que les villes ont pu revêtir un peu partout dans le monde en cette année 2020.
Dans le prolongement de cette expérience, Lucie et Simon ont réalisé, à la croisée de la photographie et de la vidéo, une série de plans fixes – paysages ou portraits – qui donnent en quelque sorte de la matière au temps. L’aventure se poursuivra autour de l’image comme trace possible de l’invisible, la photographie comme quête d’un esprit qui s’invite au milieu du flux des passants d’une rue : la ville à nouveau choisie comme théâtre de leurs opérations, en France, en Inde et au Japon. Puis vient l’idée d’apprivoiser la lumière, en marge de toute forme de représentation, et de plonger le regard dans l’infiniment petit, à l’aide d’un boîtier sans objectif ou d’un capteur numérique relié à un microscope. Toutes ces entreprises témoignent en fin de compte d’une même préoccupation : développer une œuvre qui porte en elle une réflexion sur son propre langage. Et accorder à cette réflexion autant d’importance qu’au sujet.
Gabriel Bauret.